Impôts
Patrimoine : les propositions choc des notaires pour réformer les donations
Va-t-on enfin en finir avec la fiscalité confiscatoire sur le patrimoine ? Après des mois passés à étudier les informations remontées du terrain, les notaires viennent d?adresser leurs propositions de réforme au gouvernement, actuellement en pleine préparation de sa loi de finances pour 2024. C’est un concours de circonstances, mais le timing est donc plutôt bon. Le Conseil supérieur du notariat (CSN) l’assure: l’initiative n’a aucun lien avec la promesse électorale du candidat Emmanuel Macron de réduire les droits de succession, et pour l’instant restée lettre morte. «C’est un travail de constat à partir des questions posées par nos clients dans nos études et qui montrent que les règles actuelles ne sont plus adaptées à la société», explique Laurence Leguil, vice-présidente du CSN. La problématique se résume en trois chiffres. Aujourd’hui, les plus de 60 ans détiennent 60% de l’épargne financière et réalisent 60% des investissements immobiliers. «En France, les donations et les successions sont imposées de manière identique. Cela n’incite pas les Français à anticiper et cela freine la circulation des patrimoines, alors qu’ils pourraient servir à améliorer le pouvoir d’achat des jeunes générations, à innover, à investir», défend Laurence Leguil.
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Car plus qu’une révolution fiscale, les neuf propositions se veulent un véritable projet de société en incitant les seniors à donner de leur vivant pour faciliter le «ruissellement» vers les générations futures, mais aussi en fléchant les donations vers les enjeux cruciaux que sont la transition écologique et la prise en charge de la dépendance.
1. Instituer un abattement indifférent du lien de parenté entre donateur et donataire.
L’idée est de créer un abattement fiscal de principe, dont le montant serait à définir, pour toute donation en pleine propriété, même lorsqu’il n’y a aucun lien de parenté entre le donateur et le donataire. Cela permettrait d’élargir le champ des bénéficiaires qui pourront dès lors être un voisin, ou un ami.
2. Restaurer la réduction d’impôt liée à l’âge du donateur
L’objectif est de rétablir un mécanisme de réduction d’impôts réservé aujourd’hui aux seules transmissions d’entreprises. Il y a une dizaine d’années, cette réduction fixée à 50% pour les donateurs âgés de moins de 70 ans et à 30% pour ceux de moins de 80 ans, s’appliquait à la transmission de tout type de biens. Les notaires estiment que ce serait un réel outil pour inciter les seniors à transmettre de leur vivant.
3. Augmenter l’abattement applicable aux transmissions aux petits enfants
Fixé aujourd’hui à 31.865 euros, l’avantage fiscal en cas de don à un petit enfant est bien moins avantageux que celui de 100.000 euros dont profite le donateur quand la somme ou le bien est transmise en ligne directe à un enfant. «On estime qu’il faudrait qu’il soit plus élevé parce que les grands-parents ont du patrimoine et qu’ils sont surtout encouragés par les règles actuelles à le donner à leurs enfants. Or tous les chiffres que nous avons, disent qu’ils donnent trop tard, quand leurs enfants eux-mêmes se sont déjà constitué un patrimoine. L’idée est de faciliter la transmission intergénérationnelle», explique Laurence Leguil.
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4. Supprimer la condition liée à l’âge du donataire et du donateur
L’article 798 du code général des impôts prévoit un abattement spécifique aux donations en pleine propriété de sommes d’argent mais il est réservé aux grands-parents âgés de moins de 80 ans qui donnent à leurs petits-enfants mineurs. «En clair, si je suis grand-mère de six petits enfants dont l’aîné à 20 ans et tous les autres moins de 18 ans, le notaire va m’expliquer que celui qui a plus de 18 ans n?aura pas le même abattement que celui qui n?en a que 15. Idem pour moi, à 79 ans j’ai droit à cet abattement, mais plus à 81 ans. Il faut revoir le système pour le rendre plus équitable?, expose la vice-présidente du CSN.
5. Créer un nouvel abattement pour les transmissions par donation ou succession aux enfants du conjoint
Pour les notaires il s’agit ici de prendre en compte le nouveau visage des familles recomposées «qui ne sont pas moins légitimes». Or aujourd’hui la fiscalité applicable aux biens transmis à ces enfants s’élève à 60% de leur valeur.
6. Diminuer le droit de partage applicable aux donations-partages par incorporation
De l’aveu même de Laurence Leguil, cette proposition particulièrement technique est aussi très utile car elle permet de pacifier les successions. Une donation-partage, est un mécanisme qui permet de faire un partage équitable de ses biens de son vivant entre ses enfants, et qui ne sera pas remis en cause au moment du décès car les biens donnés dans ce cadre ne seront pas réévalués. Or aujourd’hui pour être vraiment intéressante, cette donation-partage doit être faite en une seule fois, c?est-à-dire en dotant tous les enfants au même moment. Ce qui n?est pas toujours possible. Si par exemple pour des questions de trésorerie, un parent venait à doter d’abord ses deux premiers enfants avant de revenir voir le notaire quelques années plus tard pour le troisième, mettre en place une donation-partage globale aurait un coût fiscal dissuasif. «Il faudrait en effet réincorporer les deux premières donations avec la troisième de manière que les 3 enfants bénéficient du cadre protecteur de la donation-partage. Or cela conduirait à retaxer les deux premiers biens déjà donnés à 2,5%. Au final pour éviter cette nouvelle taxation, le parent préfère souvent faire une donation simple au risque de voir des mésententes survenir au moment du décès avec la réévaluation des biens», explique Laurence Leguil qui plaide pour une réduction de cette taxation, voire sa disparition totale.
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7. Exonérer de droits de mutation à titre gratuit les donations à charge pour le donataire de rénover le bien transmis
Première des donations «à enjeux» que souhaite créer le CSN, la proposition 7 vise à exonérer la transmission d’un bien immobilier considéré comme une passoire thermique (classé F ou G) lorsque le futur propriétaire s’engage à effectuer les travaux nécessaires pour améliorer ses performances énergétiques (entre A et D) tout en conservant le bien au moins 6 ans, pour l’habiter ou le louer pour un loyer encadré.
8. Inciter à donner des sommes d’argent dans des sociétés à vocation écologique
Ce dispositif doit permettre de transmettre au maximum 100.000 euros par donateur, à un enfant, petit-enfant, un arrière-petit-enfant, un neveu… sous réserve que la somme soit investie dans les six mois dans des sociétés à vocation écologique ou dans la rénovation/ construction de biens immobiliers dont il est propriétaire, qu’il acquiert ou qu’il s’engage à acquérir.
9. Créer un compte affecté pour financer la dépendance et/ou la vulnérabilité de proche
C’est l’autre grand enjeu de société sur lequel les notaires souhaitent agir: la dépendance et son financement qui repose actuellement essentiellement sur la solidarité nationale. L’idée de cette neuvième proposition est de permettre la création d’un compte commun alimenté par le cercle familial pour soutenir l’un de ses membres en situation de handicap ou de dépendance. Ce compte servirait à couvrir les frais médicaux, le loyer dans une structure médicalisée, les travaux d’équipement d’un logement… et toutes les dépenses réalisées seraient contrôlées annuellement par un notaire. «C’est une proposition sur laquelle nous travaillons depuis une dizaine d’années avec un objectif, celui de désengorger la prise en charge par la société de certaines dépendances. C’est l’esprit de solidarité familiale qui se substitue à la solidarité de nationale», explique la notaire.
Le document qui détaille les propositions n’en chiffre pas le coût «c’est le pouvoir régalien du gouvernement, ce n’est pas aux notaires de se prononcer sur la politique fiscale», plaide la vice-présidente du CSN. Ses équipes se tiennent en revanche à la disposition de toute personne intéressée pour discuter de leur mise en place.